L’arrivée des premières règles chez une adolescente est source de bien des interrogations et sous-tend un véritable bouleversement, tant du côté des jeunes filles que de leurs mères. Maïtie Trelaün, ex-sage-femme aujourd’hui spécialisée dans l’accompagnement des femmes, des couples et des familles, nous propose des pistes afin de mieux appréhender cet événement.
Ma fille va bientôt avoir ses règles. Que puis-je faire ? Comment l’accompagner dans cet événement ? Ce sont des demandes que je reçois de plus en plus régulièrement. Les règles sortent du tabou, du silence et commencent à nourrir un questionnement sur ce qu’elles représentent. Lorsque j’interroge des femmes sur l’arrivée de leurs premières règles, les larmes affleurent ou parfois la colère ; le silence, la non-reconnaissance, la solitude, la honte, la culpabilité, la peur ont bien souvent été les compagnons de cet événement unique dans la vie d’une femme. Lourdes de leurs blessures, ces femmes appréhendent cette étape chez leurs filles.
Nous ne sommes plus à l’époque de nos mères : les règles sont moins taboues même si elles sont encore loin d’être accueillies à leur pleine valeur. Les adolescentes parlent beaucoup plus librement de cela entre elles et la publicité mentionne les protections classiques (même si le sang y est figuré en bleu). Il est donc rare de nos jours qu’une adolescente se trouve démunie devant le premier écoulement de sang. De quoi a-t-elle besoin à ce moment-là ? Qu’attend-elle de sa mère ? Le mieux est de le lui demander.
Je rencontre beaucoup de femmes actuellement qui confondent la manière dont elles aimeraient célébrer cet événement et le besoin de leur fille. Elles sont concernées toutes les deux de manière différente :
- la mère voit sa fille la rejoindre dans la communauté des femmes en même temps que naît la possibilité, pour elle, de devenir grand-mère : la roue de la vie tourne.
- la jeune fille quitte le monde de l’enfance pour cheminer vers celui de la femme avec tout ce que cela représente pour elle.
Autant la femme a besoin de célébrer cela avec d’autres femmes, autant la jeune fille préférera souvent qu’on l’accompagne dans le monde de l’intime avec délicatesse. Elle a besoin de comprendre ce qui se passe en elle à différents niveaux.
Un processus de naissance
Le processus qui se met en place s’apparente à celui de la naissance (avec ses règles, la jeune fille quitte son monde d’avant, pour entrer dans un sas intermédiaire dont elle ressortira femme) : des éléments de sa venue au monde se rejouent inconsciemment.
C’est l’occasion pour sa mère de lui parler du déroulement de son accouchement, voire de sa grossesse et des premiers mois qui suivirent. Ce ne sont pas les faits qui importent ici, mais plutôt le vécu émotionnel de la mère, qui a imprégné sa fille. Ce sont souvent ces mêmes émotions qui peuvent submerger cette dernière sans qu’elle en comprenne le sens puisqu’elle n’en connaît pas l’origine. Sa mère, en posant des mots avec le plus d’authenticité possible, lui remet les clés de sa naissance.
J’invite les femmes à revisiter leur accouchement en serrant dans leurs bras cette femme en elle qui en a peut-être souffert et à amorcer un chemin d’accueil de ce qui s’est passé. Bien souvent, elles ont peur de nommer ce qu’elles ont ressenti (l’abandon, la violence, voire le viol, l’irrespect, la blessure, la peur…) de crainte de traumatiser leur enfant. Bien au contraire, ces mots éclairent avec justesse ce qui a été vécu, surtout s’ils sont déposés avec simplicité, même si cela amène des larmes et une sensation de vulnérabilité. La jeune fille apprend ainsi qu’une femme peut s’autoriser à accueillir cette émotion en toute simplicité : c’est un précieux cadeau. L’important est que la mère les exprime en utilisant le « je » (« J’ai ressenti », « J’ai éprouvé »…) car elle parle ainsi de son monde à elle sans chercher à se justifier.
La communauté des femmes
Par ses règles, la jeune fille entre dans la communauté des femmes. Elle se relie à toutes les femmes de la Terre et à toutes celles de sa lignée. Elle a besoin, pour cela, de savoir ce qu’a vécu et ressenti sa mère au moment de ses premières règles et comment elle vit son cycle.
Il n’est pas nécessaire de s’attacher aux faits, il suffit de les laisser couler pour en percevoir ce qui s’est imprimé dans son corps et s’autoriser à l’exprimer. Plus la mère est authentique, plus les mots sont des perles pour sa fille. Qu’a-t-elle ressenti ? De quoi aurait-elle eu besoin ? Elle peut ainsi transmettre son expérimentation avec justesse sans se lamenter afin que sa fille soit libre d’en explorer une autre.
Le meilleur moyen d’accompagner nos filles dans leur chemin de femme est d’accueillir la femme en nous, en nous réconciliant avec la puissance d’enseignement de notre cycle.
Je me souviens, au cours d’une séance où j’accompagnais une mère et sa fille dans un rituel de passage, de l’expression de la fillette de 11 ans, consternée en apprenant que, suite à un stérilet aux hormones, sa mère n’avait plus de règles : « Mais il faut que tu les retrouves ! », s’écria-t-elle. La fillette se sentait propulsée dans un cycle que sa mère avait fuit. Sur quoi allait-elle pouvoir s’appuyer pour se construire ?
Les facettes du cycle féminin
À l’arrivée de ses menstrues, la jeune fille rentre en dialogue avec l’Univers : les quatre phases de son cycle lui parlent de celles de la Lune, des saisons de la Terre, de celles du corps…
Le cycle commence au premier jour des règles par une phase double : deuil et naissance. Un cycle se termine, un autre commence ; l’ovule mort est rendu à la Terre, un autre germe. La femme fait le tri dans le secret de son corps ; son énergie est tournée vers l’intérieur. Elle se sent vulnérable, triste, lourde, ralentie. C’est l’hiver de la Terre, la phase obscure de la Lune.
Dès la fin des règles, la deuxième phase apporte son énergie printanière, les projets fusent, l’envie de sortir, de faire la fête, de rire, de jouer, de séduire est à l’affiche. La vivacité habite la jeune femme. C’est le printemps, la Lune montante.
La troisième phase amène plus de stabilité, c’est le moment de concrétiser ses projets. La femme a besoin d’accueillir, d’aimer ; elle sent sa puissance qui lui fait souvent peur. C’est le feu de l’été, le rayonnement de la pleine Lune. Durant cette phase, dans le secret de son intimité, elle va faire don d’une partie d’elle, d’un ovule, pour la Vie.
La quatrième phase est pleine d’ambiguïté. Son corps déborde d’énergie créatrice difficile à canaliser car elle est informe et novatrice ; elle ouvre plein de possibles sans avoir de but précis. Si la femme ne s’autorise pas à l’écouter, cette énergie se transforme en irritabilité, colère, tensions, douleurs, mal-être… C’est l’automne avec ses bourrasques, la Lune descendante : la femme est en lien avec l’inconscient.
J’invite les jeunes filles à noter rapidement sur un carnet la date,le jour de leur cycle, leur humeur, leurs rêves, leur énergie, leurs projets, comment elles se sentent dans leur corps, leurs envies. Elles écoutent ainsi ce que leur conte ce cycle, afin de se sentir soutenues par lui au lieu de le subir. Il est judicieux qu’elles y inscrivent également le cycle de la Lune ainsi que les saisons.
Le dialogue avec la Lune
La femme devrait être réglée sur la Lune. La puberté est une phase de rodage durant laquelle son corps cherche à s’accorder. Les cycles tâtonnent parfois, irréguliers. La Lune est comme une grande Sœur qui éclaire l’harmonie du cycle. En observant le cycle de la Lune, la jeune fille va pouvoir s’en imprégner tout en observant le sien danser à son rythme.
Par une alchimie merveilleuse, le corps préserve le vivant de la femme en se régulant avec l’Univers. Si la jeune fille est trop fatiguée, son corps s’arrangera pour que ses règles soient au moment de la pleine Lune (si la fatigue est extrême, il supprimera les règles) : la Lune, au maximum de son énergie, soutiendra celle qui saigne. Ce ne serait pas possible en Lune noire car celle-ci est, comme la femme, vide d’énergie. Ce sera accentué par les saisons : la femme est beaucoup plus vulnérable au moment des lunes noires durant l’hiver : tout est au silence, au repli, au minima d’énergie. Il est primordial d’apprendre aux jeunes filles à se respecter dans ce temps-là, à prendre soin d’elles, à écouter les besoins de leur corps. Ce n’est pas le moment pour elles d’aider les autres.
Célébrer cet événement
Qu’est-ce qui est important pour une jeune fille, afin de célébrer cette entrée dans sa période de mutation ? De quoi a-t-elle besoin ? Ce peut-être un rituel, ou peut-être pas ! Nous pouvons rester libres de nos désirs de mères tout en évitant de devancer, d’interpréter car nous pouvons blesser. De même que nous avons souffert du peu de considération de nos mères, certaines de nos filles sont blessées par notre facilité à partager sur la place publique ce qui appartient à leur intimité. Il est important de voir avec elles comment la nouvelle est annoncée, par qui, à qui et de quelle manière. De même, il convient d’inclure le père avec délicatesse afin qu’il puisse reconnaître la femme en sa fille.
Finalement, je me rends compte que ce sont davantage les pères et les mères qui ont besoin d’être accompagnés dans ce passage que leur fille. Leur enfant vit une grande vulnérabilité, car elle se trouve dans une période de mutation et se lance dans le monde. Pour s’y autoriser et le faire en sécurité, elle a besoin de leur appui et de leur soutien.
Qui est Maïtie Trélaün ? Coach thérapeutique pour les couples et les familles. Auteure des livres : J’accouche bientôt et j’ai peur de la douleur (Ed Souffle d’or 2008), Se préparer en couple à l’accouchement (Ed Souffle d’Or 2010) et Stella et le cercle des femmes (Ed Souffle d’Or. 2011). Son site : http://www.maitie-danselafemme.fr